Surement pas là...

Surement pas là...

Kyiv (Ukraine), 04 aout 2024

Je crois que je voudrai te parler de quelque chose
Tu sais, en ce moment, je crois que je vis quelques chose d'étrange.

Je prends doucement conscience du danger que me fais vivre mon identité féminine mais aussi et surtout ma transidentité.
Ces derniers temps je lis beaucoup de message de haine à destination des personnes trans et ça m'inquiète
Je lis des appels aux meurtres, je vois les faits divers, je vois et j'entends les mots publics utilisés pour parler de nous, je vois les gens dirent des choses tellement fausses et injustes pour tenter de justifier notre exclusion de pans entiers de la société, et tout ça me chahute beaucoup.

Je sais pas, ni quoi en faire, ni quoi en dire, mais quand je lis qu'à différent endroit du globe on appel au meurtre de personnes trans et on nous désigne partout comme un danger, ça aide pas à s'en sortir.

Ce matin j'ai lu ça : https://x.com/lecoindeslgbt/status/1818754130900664823
Durant les élections le mois dernier, j'ai pu lire ou entendre toutes les pires horreurs du monde nous concernant, et j'ai pu lire toutes les pires idées possibles pour tenter de nous remettre dans la boite dans laquelle on a toujours été.
À midi Natalie (ma collègue Grecque) me racontait les discours dans son pays depuis à la cérémonie des JO. De clairs appels au meurtre en femmes trans dans le but - annoncer - de "nettoyer la société" et "punir de l'affront fait à Jésus".

Et des trucs comme ça, j'en lis partout en ce moment.
Tous les jours j'ouvre le journal et ça parle des personnes trans, en racontant des trucs horribles.

Tous les putains de jours de mon existence, je me réveille en me rappelant que des millions de gens rêvent que je meurs dans d'atroces souffrances et que nombreuses sont celles prêtes à y prendre part.

Que tout ces connard.sses inventent tous les jours une nouvelle raison pour nous interdire de vivre, d'être en société, d'être nous, d'avoir des droits, une famille, des ami.e.s, des papiers, des vies.

La vie secoue en ce moment, et je me sens seule avec tout ça.

Je me sens seule, avec ma peur ici de prendre un missile ou un drone.
J'en discutais avec Natalie l'autre jour, de ce truc de pas pouvoir expliquer ce que l'on vit.
Cette peur vécue à Kharkiv s'entendre les bombes tomber, de sentir les vibrations, de se dire que l'on va crever, là sous terre, tout de suite comme un rat.
De se dire qu'on retrouvera ton corps dans les décombres, alors que toi tu voulais juste vivre.
Et là tu penses à toutes ces personnes qui viennent de mourir à Gaza ces derniers mois. Toutes ces personnes mortes pour tien, alors qu'elles aussi elles voulait juste vivre leur vie.

Alors t'es là, à passer la nuit sur ton parquet, en mettant des couverture sur le sol, parce que dehors y'a des alarmes non stop. Il est 4h du mat, ça sonne depuis 22h30 - et la méga explosion que tu as entendue alors que tu étais tranquille au téléphone sur ton canap - et t'es juste épuisée. T'aimerai bien que ça s'arrête, mais c'est pas toi qui choisi. Alors t’essaie de trouver le sommeil à nouveau pour la huitième fois consécutive, et t'en viens à demander ce que ça ferai si un missile venait s'encastrer dans ton immeuble (comme dans celui à 50m d'une de nos bureaux qui a décapitée trois étages d'immeuble). Tu te demande ce qu'il resterait de ton appartement, et si le fait d'être caché par terre dans un couloir derrière deux murs suffirait vraiment.
Et puis finalement t'es épuisée, tu as dormis deux heures, alors tu sombres, en espérant qu'il se passera rien encore cette fois.

Je me balade avec ça, cette sensation de vivre une vie compréhensible par pas grande monde.

Ces peurs et ces événements que tu peux raconter à personnes parce que tu sais que tu vas inquiéter des gens, puis devoir prendre un temps de énorme pour devoir les rassurer.
Cette transidentité dont personne ne comprends ce qu'elle engendre en moi, mon Cœur, ma vie, mon regards sur le futur, mes projections
Ça créé une barrière entre moi et les gens, je le sens.

Parce que raconter ma vie c'est devoir passer une heure à faire de la mise en contexte, tout en devant rassurer encore, et devoir expliquer des choses que personne ne comprendra.
Parce qu'en fait j'ai l'impression d'être seule face au tsunami de l'histoire et de bien m'en rendre compte tant je passe mon temps à me faire chatouiller par la vague.

Je sens en ce moment que j'ai pas envie de contact extérieur, que le téléphone devient pour moi une contrainte, que j'y prends plus de plaisir, que cela devient une forme d'obligation.

Prends pas tout ça contre toi ou un reproche, ça parle pas de toi.
C'est juste un sentiment profond de décrochage de la normalité.
La sensation d'être dans un autre monde, d'avoir switché, et d'y être allé seule.

J'ai l'impression que je vis un jour le jour, consciente au quotidien que tout peut s'arrêter, consciente que je peux crever à chaque instant.

J'écoutais hier matin dans un podcast un témoignage d'un gars qui racontait sa sexualité gay dans les années 90, et qui parlait de la prise de risque des gays à l'époque, qui se disaient que dans tous les cas toute façon ils allaient crever, et que quitte a crever, autant se faire plaisir et baiser un maximum avec des gens.

Dans cette analogie, aucun rapport avec ma sexualité, mais l'impression de vivre cette espèce de même truc, de minorisation, de disparition, et l'impression que quoi qu'il arrive, je vais bientôt crever.
Ça me met dans une espèce de posture un peu étrange au quotidien, d'un truc ou je suis dans une envie de profiter de tout au max, comme si tout allait s'arrêter demain matin. L'impression de vivre avec une épée de Damoclés au dessus de la tête en permanence.

Je suis désolé de te raconter ça comme ça, ça doit pas être facile à lire, mais je crois que j'ai besoin de te mettre en mots pour que tu puisses peut-être un peu comprendre ce qui se passe en moi en ce moment. Peut-être tu vas avoir envie de proposer des solutions, mais peut-être qu'en fait il faut pas... Et qu'il faut laisser ça là, et me laisser apprendre à digérer tout ça.

Je suis désolé, tout ça créé une situation inextricable, impossible à lire et à comprendre. Sur laquelle l'action n'est que difficilement possible, et la compréhension difficile et partielle.

C'est bizarre en ce moment
Depuis la Grèce mon WhatsApp se remplit, de gens qui m'écrivent et à qui je ne réponds pas.
À qui je ne vois pas bien quoi raconter, a qui, si je prends le risque de dire la vérité, seront très gênées et peut-être aussi très inquiète;
Des conversations où si je dis la vérité ça laissera de grands blancs, et où je finirai par dire "mais sinon c'est pas grave hein".

Et je veux éviter ça, alors, je dis pas, je dis plus, et je me tais pour écouter.

Alors que dans les faits j'ai besoin de parler de tout ça, et surtout pas besoin de me taire, mais je ne me le sens pas, parce que rien n'est jamais vraiment compris ou entendu.

Je suis là, quelque part dans un autre espace, mais je ne sais plus comment faire. Alors en ce moment je choisis le silence, parce qu’en fait, je sais pas faire autrement.